Carte blanche
Dans la foulée des Jeux Olympiques de Beijing, nous avions publié une Carte blanche dans ce journal. Nous y suggérions une stratégie pour le sport en Communauté française. Ces propositions avaient suscité l’intérêt de nos acteurs politiques. Au lendemain des élections régionales, il est intéressant de constater qu’un certain nombre d’entre elles figurent dans les programmes des partis politiques et dans une proposition de décret déposée au Parlement de la Communauté française en fin de session. Rappelons-les.
– Une vision : contribuer par une offre judicieuse d’activités physiques et sportives, à une qualité de vie optimale pour le plus grand nombre, dans une perspective de santé publique, et développer un sport de haut niveau représentatif qui stimule la pratique des activités physiques et sportives dans la société ;
– Un plan stratégique de politique sportive communautaire pluriannuel (huit ans avec ajustement annuel sur base d’évaluations rigoureuses), transversal, entre départements ministériels en charge du Sport, de l’Éducation et de la Santé ;
– Des acteurs politiques entourés d’experts susceptibles de leur fournir les balises indispensables ;
– Coopérer, dans un esprit d’ouverture, avec les autres acteurs, y compris les autres Communautés, chaque fois que l’opportunité se présente ;
– Assurer, par la formation et la rémunération, la qualité didactique et technique des entraîneurs de jeunes au niveau des clubs, tout en considérant qu’il est judicieux de donner les meilleurs entraîneurs aux meilleurs sportifs ;
– Considérer que le succès sportif est possible même avec un réservoir de talents restreint, comme le montre la Suisse (un état fédéral), si l’on concentre les talents, les compétences scientifiques, techniques et tactiques, ainsi que les budgets, en un lieu d’excellence, sous la responsabilité d’un coordonnateur unique et charismatique travaillant avec l’ensemble des parties prenantes ;
– Former des cadres administratifs capables d’offrir un management à la hauteur des ambitions sportives est un objectif central. Des formations universitaires existent dès aujourd’hui en ce sens. Le ministre des Sports devrait franchir le pas en exigeant ce type de qualification pour les nouveaux cadres des fédérations, autoriser des salaires à la mesure et proposer une perspective de carrière non plane.
Cette approche est positive. On peut espérer que nos élus auront à cœur de concrétiser leurs intentions. Ceci est d’autant plus important que le sort fait au sport en Communauté française, à la veille des élections, surprend par son manque de vision stratégique et de sens des responsabilités sociales.
Les décrets successifs sur la reconnaissance et le subventionnement des fédérations sportives (1999 et 2006) cadrent leurs missions et objectifs et leur demandent de formuler leur stratégie sous forme d’un plan programme à 4 ans (une olympiade) soumis à révision annuelle. En tant que tels ils sont porteurs d’une perspective stratégique. Que constatons-nous aujourd’hui ? Les fédérations sportives francophones ont déposé leur plan programme 2009-2012 en octobre 2008 auprès de l’Administration. Ils devaient être évalués par elle et appliqués dès le mois de janvier 2009. Conscients du fait qu’une politique de formation, initiée au lendemain des J.O. d’Athènes, dans le plan programme 2005-2008, exige 8 à 12 ans pour porter ses fruits, nombre de dirigeants et cadres techniques avaient fait des J.O. de Londres (2012) la cible de leur stratégie. Le plan programme 2009-2012 se devait donc d’être dans la ligne du précédent, moyennant certains correctifs indispensables.
Près de 8 mois plus tard, à mi-chemin de l’année 2009, l’administration et le ministre rendent leur verdict. Celui-ci prive une vingtaine de fédérations, parmi lesquelles plusieurs fédérations olympiques, des ressources financières (certaines voient la subvention liée au plan programme amputée des deux tiers) et humaines (près de trente cadres techniques et administratifs se verront licenciés dans les semaines qui viennent) qui leur auraient permis de poursuivre le travail entamé.
Certes, quelques fédérations aux résultats sportifs remarquables voient leurs moyens renforcés. Certes, plusieurs fédérations ne se remettent pas en question, manquent de professionnalisme dans leur organisation et n’agissent pas en acteurs responsables d’un sport de haut niveau crédible. Mais peut-on justifier que l’on laisse travailler des fédérations durant cinq mois sur base d’un projet avant de l’anéantir en créant des situations sociales et financières dont les plus faibles ne se remettront pas ?
L’administration et le ministre des Sports invoquent des critères issus des décrets susmentionnés pour justifier leurs décisions, alors qu’aucune stratégie sportive n’est communiquée à leur niveau. Objecter que le plan programme des fédérations sanctionnées n’a pas évolué nie les stratégies à long terme que plusieurs d’entre elles ont mis en place sur l’échelle de temps Athènes (2004) - Beijing (2008) - Londres (2012).
Cette absence de politique (stratégie) sportive se double d’un manque de vision et de prise de responsabilité sociale. En effet, à une époque où l’on nous démontre la pauvreté de la condition physique de nos jeunes, on ampute l’offre sportive, on brise le plan de carrière de futures élites, on renvoie des cadres techniques qui construisaient méthodiquement la formation de ces futures élites, on décapite la formation des futurs cadres de ces disciplines, on prive le sport francophone de modèles auxquels de nombreux jeunes pourraient s’identifier afin d’embrasser eux aussi un projet sportif. Ces décisions engagent la responsabilité sociale de la Communauté française.
Pour éviter un tel état de fait, nous avions formulé les propositions rappelées en introduction. Un management stratégique s’impose pour le sport francophone. Ces propositions peuvent en constituer l’épine dorsale. Puissent les responsables politiques saisir l’opportunité et donner au sport francophone la vision politique qui lui manque. C’est sur cette vision que les fédérations pourront construire leurs stratégies.
Dans l’immédiat, il ne convient pas de retirer les moyens accordés à celles dont les résultats ont été reconnus. Il est simultanément impératif, en termes de vision stratégique et de responsabilité sociale, que le chemin de la raison réunisse l’administration et les fédérations concernées pour une analyse constructive de leurs objectifs. Celles-ci s’engageront très professionnellement dans leur plan programme et l’administration leur donnera les ressources indispensables pour y parvenir, moyennant la réalisation de critères connus des parties. Le sport, en Communauté française, sera .alors réellement en progrès.
Thierry Zintz
Professeur à l’UCL, titulaire de la Chaire olympique Henri de Baillet-Latour & Jacques Rogge en Management des organisations sportives
(NDLR : M. Zintz est aussi vice-président du COIB - Comité olympique et interfédéral belge.)
Tiré du journal « Le Soir » du 15 juin 2009
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